vendredi 11 juin 2021

J'ai presque croisé le lynx

Les nouvelles ne sont pas bonnes, des ouvriers forestiers exploitent une bonne partie de la forêt en bouleversant énormément le milieu et une grande partie des animaux qui vivaient dans ce coin de la forêt sont parties. Heureusement dans la partie plus calme du massif, il a été possible de faire de belles rencontres.

Lynx d'Anatolie sur son territoire                                                                             @Thierry Magniez
 

De grands changements sur la zone d'étude entrainent des mouvements de la population animale depuis les quinze derniers jours. Une zone comme celle-ci peut être considérée comme un point refuge. A proximité de la capitale, ce petit massif est probablement le milieu naturel le plus riche aussi proche d'Ankara. Sans route qui y mène, ce milieu est assez préservé et les animaux qui y vivent sont relativement tranquilles. Le printemps est une période capitale pour les populations animales : en plus de la reconstruction des réserves utilisées pendant la période difficile de l’hiver, la reproduction demande des ressources énergétiques supplémentaires.

Ce jeudi après 15 jours d'absence sur zone, je monte sur le massif impatient de découvrir l'évolution de la vie là-haut grâce aux pièges photographiques qui viennent compléter les observations de terrain. En prenant la piste qui grimpe sur la versant nord, je découvre de grosses traces de roues et de nombreuses branches cassées : un gros truc est passé par ici ! En même temps, j’entends les premiers chants de la tronçonneuse, un peu plus haut sur ce même versant. Je comprends que l'exploitation forestière a repris mais étant loin de la zone des pièges photographiques, je ne m'inquiète pas. A l'approche de la zone de roucoulement des abatteuses d'arbres, je commence à voir un nombre vraiment considérable de billes de bois sur le bord de la piste. De part et d'autre de cette voie, la forêt est toujours là mais l'extraction de certains arbres a littéralement labouré une bonne partie du sous bois. Cette forêt est méconnaissable, les engins sont passés partout bousculant et blessant les troncs encore debout, retournant et trainant les rochers, même ceux d'un poids considérable. Les arbustes et les plantes vivants sous l'ombre des grands arbres sont en grande partie arrachés. 

 

Impact de la coupe forestière sur l'environnement                                                              @Thierry Magniez
 

Ce ne sont pas des coupes rases, la majorité des arbres restent sur pied, seul un petit nombre est abattu mais je pense à toutes ces espèces qui en cet fin de printemps demandent calme et nourriture pour permettre leur reproduction. Alors que je pensais que la zone de travail se limitait à une petite partie du versant nord, je me rends compte que les bûcherons ont travaillé  très vite en 15 jours. Ils sont allés jusque sur la zone où les pièges photographiques suivent le loup et l'ours. Les jeunes pics étaient encore au fond de leur loge quand les arbres sont tombés. Les grands mammifères ont déserté la zone sauf ceux qui ne peuvent déplacer leur progéniture comme cette louve qui va avoir du mal à nourrir ses petits.

Forestiers qui viennent couper certains arbres sur une zone de suivi du loup                             @Thierry Magniez

Passage de la louve allaitante quelques heures après les forestiers                                           @Thierry Magniez

La louve a sa tanière proche de ce lieu jusqu'où l'abattage d'une partie des arbres a eu lieu. malgré le dérangement, l’impact sur le milieu, après le passage des forestiers, le couple de loup est toujours là. Ils sont sur cette zone depuis la fin de l'hiver, les petits sont encore à la tanière. J'ai retiré les pièges photographiques de ce lieu puisqu'ils ont été repérés par les ouvriers forestiers avec qui j'ai discuté pour montrer le suivi. Pour le moment, les sangliers, les cerfs, les chevreuils, même les lièvres ont quitté ce lieu, il faudra aller plus loin pour trouver de quoi nourrir les louveteaux.

Laie avec ses nombreux marcassins qui fréquentaient la zone avant le passage des forestiers                   @Thierry Magniez

Après discussion avec les ouvriers surpris de la présence de toute cette faune, j'ai déplacé l'ensemble des caméras vers le versant plus calme du massif mais je n'ai pour le moment plus aucun suivi des ours qui semblent avoir quitté les lieux. Ce matin pendant la rencontre avec les ouvriers forestiers à l'autre bout de cette petite montagne, le lynx passait devant une des caméras. Arrivé quelques heures après le déclenchement, j'ai minutieusement fouillé la localité mais ce n'est pas cette fois encore que je croiserai son regard.

Le lynx sur un de ses lieux de passage, il marque son territoire                                               @Thierry Magniez

En attendant un nouveau passage du chat (c'est le troisième en 4 semaines), je suis allé explorer une prairie plus difficile d’accès pour retrouver un peu de calme et peut être des animaux moins stressés. Pour se rendre sur les lieux, c'est simple, il suffit de suivre la piste que les loups ont tracée, c'est leur voie de communication pour sortir du massif. On traverse une forêt de pente puis un labyrinthe d'arbustes pour arriver sur une petite et une grande prairies n'ayant aucune autre voie d’accès simple. Une arrivée discrète me permet d'apercevoir deux beaux lièvres d'Anatolie. Ils sont énormes et font des bonds comme des kangourous. Souvent, ils sont très farouches et en quelques bonds, ils disparaissent avant qu'on ne les ai aperçus. Là, c'est tout autre chose, je ne sais pas s'ils ont déjà croisé beaucoup d'hommes avant mais, j'ai pu les approcher et m'allonger plus de 30 minutes avec eux, ils sont même venus me voir de plus près : un joli moment au milieu des fleurs et des papillons.

Lièvre d'Anatolie                                                                                                @Thierry Magniez

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