vendredi 19 mars 2021

Les animaux sacrés des Zazas

On est loin de montagne du Dersim, c'est au sud de l'Anatolie que la rencontre va se faire. Dans le parc naturel d'Aladaglar (Anti-Taurus) non loin de la ville de Niğde, après plusieurs randonnées infructueuses, on me donne une nouvelle information sur la présence des chèvres égagres autrement dit du Bouquetin bézoard, l’ancêtre des chèvres domestiques. Il y a quelque temps, j'ai lu un article sur cette espèce : Capra aegagrus. Il était question dans cette publication de chèvres de montagne sacrées et de la minorité turque des Zazas alévis. Je vous partage le lien ici.

C'est donc avec beaucoup de curiosité que je cherchais à les approcher, durant mon séjour dans le parc naturel d'Aladaglar. Comme des fantômes, tout le monde en parle, on a vu des traces dans la neige, chaque téléphone des personnes avec qui nous en avons parlé conserve les souvenirs photographiques des rencontres mais il est impossible de les voir. Un soir de mauvais temps en bordure du parc sur une pente menant à ces monstres de roche de parois et de neige, elles étaient là. De grandes cornes comme les bouquetins des alpes, un épais manteau d'hiver couleur de rouille, enfoncées dans la neige jusqu'en haut des pattes, la barbe en avant, l'oreille tendue, ces chèvres étaient descendues manger sur une zone moins enneigée.

Capra aegagrus eagagrus, chèvres bézoards d'Aladaglar                        @Thierry Magniez

Après les avoir observées un bon moment aux jumelles, je décide une approche discrète pour réaliser quelques photographies plus proches sans les déranger. Je me mets dans l'axe d'un énorme rocher qui me cache lors de la progression. Le relief est pentu, on se trouve sur un cône d'éboulis avec des blocs plus ou moins gros, le tout recouvert d'une bonne couche de neige. C'est donc assez difficile de progresser. Un pas qui glisse, le suivant qui se prend dans une branche cachée sous la neige, il faut être prudent. L'appareil sur le dos, je suis presque arrivé au rocher d'où je vais pouvoir faire quelques clichés. D'un coup, j'ai le pied qui dérape entre deux roches et qui s'enfonce jusqu'au genou. Je relève la tête et j’aperçois l'ensemble du troupeau tête en l'air également. C'est rappé, je pense être repéré, quelques individus commencent à remonter vers les parois pour se mettre à l’abri.

Chèvres bézoards d'Aladaglar                                                                @Thierry Magniez


Chèvres bézoards d'Aladaglar, en haut d'une paroi                                   @Thierry Magniez

Je m'en veux de ne pas avoir pris plus de précautions et je m'assois dans la neige un moment. C'est à ce moment que j'entends un cri d'alerte, comme un genre de sifflement. Un des bouquetins vient de prévenir tout le groupe d'un danger. Je ne comprends pas dans un premier temps puisque maintenant, je suis assis derrière le rocher et que personne ne peut me voir ou me sentir. il me vient alors à l'esprit que ce n'est peut être pas moi qui leur ai fait peur. Je me redresse doucement pour apercevoir quelques individus et effectivement ils ne semblent pas porter leur attention vers moi mais vers le ciel. 
 
Aigle royal dans sa première année chassant la chèvre sauvage                     @Thierry Magniez

Le voici l’intrus, le prédateur qui vient des airs. C'est un jeune aigle royal qui survole la zone et tente quelques piqués pour capturer une proie. Pas encore bien expérimenté, il ne réussira pas cette fois sa chasse, tous les bouquetins sont remontés s'abriter dans les parois.
Pour moi, c'est également terminé pour aujourd'hui.  

 

 

 

    
 

mercredi 10 mars 2021

Le parc naturel d'Aladaglar

Ce mois de mars est très froid ici en Anatolie, on m'a parlé d'une région montagneuse au sud de la Cappadoce où le massif calcaire présente de belles parois et avec ce froid, la neige, ça peut être splendide. Nous décidons donc d'y aller passer quelques jours.
Après un bon 3 heures de route depuis Ankara, on rencontre la chaine Taurus et ce massif des Aladaglar qui culmine à un peu moins de 4 000m d'altitude. Le paysage de plateau du sud de la Cappadoce passe sans transition à de la haute montagne.

 
 
  
Différente vues depuis Çukurbağ, côté plateau et côté montagne        @Thierry Magniez

Nous avons trouvé un gite de montagne très sympa dans la village de Çukurbağ, ce qui permet d'être au pied de la montagne. Il neige, petit à petit, la circulation vers l'entrée du parc se fait de plus en plus difficilement. En quelques minutes, de Çukurbağ, on accède à la vallée d'Emli qui est une entrée facile dans le parc. La piste est bien enneigée, il est impossible d'accéder à l'entrée en véhicule alors, la marche commence.     

Aladaglar, entrée de la vallée d'Emli                                                @Thierry Magniez

Le massif est splendide, il a neigé toute la nuit, nous sommes seuls à laisser nos empreintes dans l’épaisse poudreuse. Le vent cesse et une chape de silence tombe sur nous. Peu d'animaux sont passés par ici depuis la fin des chutes de neige, les traces sont rares. On nous a parlé de l'éventualité de trouver les fameuses chèvres sauvages dans cette zone alors, on s'arrête régulièrement pour scruter les parois, les rebords, les cônes d’éboulis avec les jumelles mais rien, seul deux sangliers. Deux énormes bestioles, à en juger par la trace des empreintes laissées sur leur piste ont traversé la vallée pour passer probablement dans la suivante puisque l'on peut suivre la piste jusqu'en haut de la pente.
Puis, on pense entendre un bruit. Un bruit lointain. C'est peut être le vent qui revient. A l'approche de celui-ci, on distingue de mieux en mieux ce son qui nous paraît être le ronflement d'un moteur. Chose à ce moment improbable pour nous, au vue de l'inaccessibilité de la zone. Mais si, c'est bien ça : un superbe R12 vrombit en passant par les zones balayées par le vent et vient nous trouver. Nous découvrons alors qu'il existe un billet à acheter pour entrer dans le parc.         



Aladaglar, plateau avant l'entrée de la vallée d'Emli                                        @Thierry Magniez

C'est un lieu formidable pour réaliser des randos, du ski de randonnée, de la raquette où de la grimpe selon les saisons. On y fera une bonne rando de 4 heures et à notre retour, nous avons retrouvé les deux gardiens avec leur R12 posée sur un banc de poudreuse, la descente a été plus difficile que la montée pour eux.

Demirkazık, un autre village en bordure du parc                                                @Thierry Magniez

Par jours de mauvais temps, si il est difficile de randonner, il est possible d'emprunter la route vers le nord qui traverse Demirkazik et de longer le parc, les paysages sont très beaux et il est possible de faire de belles rencontres en hiver.


Quelques paysages en bordure de parc en empruntant la route limitrophe            @Thierry Magniez

On se trouve littéralement au pied du massif, c'est impressionnant, le dénivelé donne le vertige. Sur ces premières pentes, les animaux de la réserves descendent pour s'approcher des villages. il faut bien regarder entre les arbres pour détecter leur présence. Au petit matin et au soir, il est possible en cette saison d'observer la course des renards. Ces "Tilki" (en Turc) se poursuivent, se bagarrent et s'accouplent, ces occupations les rendent moins farouches et plus propice à l'observation. Il est également possible d'observer les aigles et les chèvres sauvages sur ces pentes.


Quelques rencontres en bordure de parc                                   @Thierry Magniez

lundi 8 mars 2021

Les chevaux sauvages

Les cicatrices sur la peau des chevaux retournés à l'état sauvage montrent les nombreuses attaques par les prédateurs. Ici, chevaux, sangliers, cerfs, chevreuils partagent le même territoire que les loups, le lynx, l'ours.
 
Traces des anciennes attaques de loups sur les chevaux sauvages                                           @Thierry Magniez
 
Jeudi dernier, j'ai eu la chance de rester plusieurs heures à observer ces chevaux que je ne rencontre que pour la deuxième fois. Ils vivent sur ce petit massif en troupeau de 10 individus. Ils sont souvent en forêt. Un seul poulain poulain accompagne les adultes qui restent bien groupés. Le guetteur est parfois à l'écart. Assez nerveux, à la moindre alerte, ils partent au galop. 

Troupeau de chevaux sauvages au nord d'Ankara                                          @Thierry Magniez


Quand, je les ai repérés et que je les ai approchés lentement (on parle en heures ), ils commencent par se regrouper au moindre bruit puis, le guetteur va être plus vigilent. Jusqu'au moment où il va me repérer. La peur se traduit par ce regroupement, et une meilleur observation. Si je ne m'approche pas plus, ils vont continuer à s'alimenter sans changer de lieu. Si je m’approche plus, le guetteur va se rapprocher de moi, la tête bien haute pour mieux m'observer. J'en ai même un qui est venu faire rapidement un tour autour de moi à 10 m, j'imagine pour mieux cerner la situation. Puis il a repris sa position de guetteur. Les autres lui font confiance et continuent à s'alimenter. Si je ne bouge pas, ça se calme et on continue ainsi des heures. Si je bouge, me redresse ou approche, là le guetteur va donner l’alerte et immédiatement, le groupe démarre pour se réfugier dans une zone plus boisée et le guetteur fermera la marche.
Voilà ce que j'ai observé.

 Chevaux sauvages au nord d'Ankara                                                             @Thierry Magniez
 
Pendant ces heures d'observation, je n'ai vu qu'eux même si parfois ils semblaient alertés par  autre chose que moi. C'est seulement en les quittant et en m'éloignant d'eux que dans la neige, à proximité, j'ai observé les nombreuses traces toutes fraiches des loups. Il y avait toute la meute et il semblait au vu des traces qu'ils tournaient autour des chevaux depuis un bon moment.
 
 

Traces de loups dans la neige autour du troupeau de chevaux sauvages                                                         @Thierry Magniez
 
J'ai laissé l'appareil photographique avec un détecteur de présence pendant 2 jours pour essayer de réaliser une image d'un de ces loups qui chassent les chevaux. J'ai eu la chance qu'il passe là où je l'avais imaginé. Il a emprunté la piste des sangliers à 23h07 dans la nuit de jeudi à vendredi. Bon, j'aurais préféré qu'il passe dans l'autre sens pour l'avoir de face mais ce sera peut être pour la prochaine fois. On peut voir que c'est déjà une belle bestiole qui semble en pleine forme.
 
Grand loup gris autour du troupeau de chevaux sauvages                                                             @Thierry Magniez

 

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Thierry Magniez travaille sur la biodiversité de l'Anatolie depuis 2021. Pendant plusieurs jours, chaque semaine, il se rend à moins de...