mardi 29 juin 2021

Arbre à ours

 
Dans les forêts de la région d'Ankara, si l'on empreinte une piste à ours, il est courant de trouver sur sa trajectoire des arbres à ours. L'arbre à ours se remarque aux traces des frottements réguliers qui éliminent l'écorce. Contrairement aux arbres où se frottent les sangliers, les blessures affligées à l'arbre sont beaucoup plus hautes et plus profondes. Le cerf réalise aussi des entailles dans les écorces mais les bois qui lui servent à cela attaquent l'arbre de façon désordonnée. 
L'ours se frottant sur son arbre                                           @Thierry Magniez
 
Dans le cas de l'ours, on peut voir des traces parallèles qui correspondent aux traces de ses griffes et des éclatements du bois dus aux coups de mâchoires. Dans la forêt, ces arbres sont des pins et il coule de ces entailles beaucoup de sève. Au printemps l'ours fréquente souvent ces arbres sur lesquels il laisse beaucoup de poils. 
 
 
 
Mais pourquoi l'ours utilise-t il ces arbres ?

Il semble qu'il y ait plusieurs raisons : c'est un peu sa douche et son point de rencontre.
Durant l'hiver, l'ours hiberne dans une tanière et pour se protéger du froid, une couche de poils épaisse et fine appelée "le duvet" s'est développée durant l'automne. L'ours possède 3 couches de poils : "le duvet", la couche de "poils intermédiaires" et des poils longs et plus gros appelés "les poils de jarre". Cette protection thermique et aussi un très bon repère pour une foule de parasites. A la fin de l'hiver quand l'ours sort d'hibernation, il cherche à se débarrasser de cette couche de duvet et des parasites qui s'y sont logés. C'est donc à ce moment que les arbres à ours sont les plus utilisés. La sève qui coule des blessures de l'arbre l'aide à lutter contre les parasites, c'est pour cela que l'ours mord et attaque le bois. Parfois, il casse également le sommet de jeunes pins à une hauteur de plus ou moins 1,6m pour avoir plus de sève et s'en sert comme un peigne sur pied. 
 

 
 
Les arbres à ours sont également utilisés pour communiquer entre eux. L'ours a l'odorat très fin et il utilise les odeurs pour communiquer avec ses congénères. En ce frottant aux arbres, il dépose son odeur pour marquer son territoire, faire savoir qu'il est là aux autres ours de son sexe mais aussi aux ours du sexe opposé. Ainsi ces messages olfactifs servent à la reproduction et au marquage de territoire.  
 

     

mardi 22 juin 2021

Ayı ve karıncalar - L'ours et les fourmis

L'ours est un animal plantigrade (qui marche sur la plante des pieds) et il est omnivore (il s'alimente de végétaux et d'animaux). Nous allons voir ici que contrairement à l'image préconçue que l'on a de l'ours, il peut être très délicat pour son alimentation.
 
Depuis que les forestiers ont commencé l'exploitation de la forêt au sommet du massif et sur le versant nord, la faune a bien bougé. Il semble que tout le monde soit passé au sud. Les pistes et les clairières montrent de nombreux indices de passage. On y retrouve les cerfs arborant leurs nouveaux bois encore recouverts de velours. La croissance de ces bois est très hétérogène d'un individu à l'autre. La découverte d'une zone présentant des couches ( endroit où les cerfs se couchent pour se reposer) a permis de réaliser quelques clichés. 

Cerf rouge d’Anatolie rejoignant sa couche au petit matin                                               @Thierry Magniez
 
Ces cerfs ne sont pas faciles à observer car pas très nombreux, ils sont fort farouches. Ils se déplacent autant de jour que de nuit en ce moment mais leur observation avec les pièges photographiques montre bien qu'ils prennent la fuite bien avant que l'on repère leur présence. Ils ont décidément l'oreille très sensible (plusieurs centaines de mètres).
 
Diversité des bois de cerf avec velours                             @Thierry Magniez
 
Les ours sont toujours sur zone, après avoir perdu leur trace pendant quelques semaines, ils sont repassés devant les caméras de nombreuses fois tout en nous livrant une nouvelle information. Bien qu'il y ait quelques passages de nuit, c'est dans la journée qu'ils sont les plus actifs sur le massif en ce moment. J'avais remarqué que de plus en plus de rochers étaient retournés sur certaines zones ouvertes. Ce sont les ours et parfois les sangliers qui cherchent leur nourriture sous ces pierres. En passant régulièrement sur les mêmes zones, j'ai constaté que de nouveaux rochers étaient retournés. La semaine dernière, il m'est même arrivé durant la journée de passer deux fois au même endroit et de constater qu'entre mes deux passages, en pleine journée, les pierres ont encore bougées. Je l'ai raté de pas beaucoup puisque sur les roches retournées, de nombreuses fourmis sont encore très actives. J'ai donc placé une caméra sur cette zone pour découvrir par l'image qui est ce retourneur de pierres. Deux jours plus tard, de nouvelles images permettent de confirmer l'hypothèse de l'ours qui cherche à manger sous les pierres.
 
Le retourneur de rochers arrivant sur la zone ouverte                                                        @Thierry Magniez

Il est passé tous les jours presque à la même heure, c'est dommage, je n'étais pas disponible pour y faire un affût parce que là, c'était les conditions idéales. En cette fin de printemps, l'été a du mal à venir, les chaleurs se font rares et les pluies sont assez courantes : en trois mots, « il fait froid ». Et cette saison fraîche a des conséquences sur l'activité des fourmis, ce que l'ours a bien compris. Il ne sert à rien de retourner les rochers quand il fait froid, les fourmis y sont peu nombreuses. Par contre quand il y a une journée de soleil, sur les pentes ouvertes exposées au sud, ça tape vite. Les rochers emmagasinent la chaleur pendant quelques heures, ce qui satisfait parfaitement les fourmis qui augmentent leur activité sous ces petites étuves naturelles. C'est donc en fin d'après-midi, vers 15h30, 16h que notre plantigrade se pointe et à l'aide de ces bonnes griffes qu'il utilise comme un crochet, il retourne pierre après pierre pour y manger les fourmis.

 
 
Sur une autre zone, les excréments laissés par les ours montrent qu'ils ont une alimentation essentiellement constituée d'herbes. Leurs crottes ressemblent alors énormément à celles des chevaux sauvages mais ne possédant pas les mêmes enzymes digestives, leur odeur permet de bien les distinguer. La crotte d'ours s'alimentant d'herbe dégage une odeur ressemblant à l'odeur de l'ensilage, du foin fermenté alors que les excréments de chevaux possèdent cette odeur bien caractéristique du cheval, aucune odeur de fermentation. 

vendredi 11 juin 2021

J'ai presque croisé le lynx

Les nouvelles ne sont pas bonnes, des ouvriers forestiers exploitent une bonne partie de la forêt en bouleversant énormément le milieu et une grande partie des animaux qui vivaient dans ce coin de la forêt sont parties. Heureusement dans la partie plus calme du massif, il a été possible de faire de belles rencontres.

Lynx d'Anatolie sur son territoire                                                                             @Thierry Magniez
 

De grands changements sur la zone d'étude entrainent des mouvements de la population animale depuis les quinze derniers jours. Une zone comme celle-ci peut être considérée comme un point refuge. A proximité de la capitale, ce petit massif est probablement le milieu naturel le plus riche aussi proche d'Ankara. Sans route qui y mène, ce milieu est assez préservé et les animaux qui y vivent sont relativement tranquilles. Le printemps est une période capitale pour les populations animales : en plus de la reconstruction des réserves utilisées pendant la période difficile de l’hiver, la reproduction demande des ressources énergétiques supplémentaires.

Ce jeudi après 15 jours d'absence sur zone, je monte sur le massif impatient de découvrir l'évolution de la vie là-haut grâce aux pièges photographiques qui viennent compléter les observations de terrain. En prenant la piste qui grimpe sur la versant nord, je découvre de grosses traces de roues et de nombreuses branches cassées : un gros truc est passé par ici ! En même temps, j’entends les premiers chants de la tronçonneuse, un peu plus haut sur ce même versant. Je comprends que l'exploitation forestière a repris mais étant loin de la zone des pièges photographiques, je ne m'inquiète pas. A l'approche de la zone de roucoulement des abatteuses d'arbres, je commence à voir un nombre vraiment considérable de billes de bois sur le bord de la piste. De part et d'autre de cette voie, la forêt est toujours là mais l'extraction de certains arbres a littéralement labouré une bonne partie du sous bois. Cette forêt est méconnaissable, les engins sont passés partout bousculant et blessant les troncs encore debout, retournant et trainant les rochers, même ceux d'un poids considérable. Les arbustes et les plantes vivants sous l'ombre des grands arbres sont en grande partie arrachés. 

 

Impact de la coupe forestière sur l'environnement                                                              @Thierry Magniez
 

Ce ne sont pas des coupes rases, la majorité des arbres restent sur pied, seul un petit nombre est abattu mais je pense à toutes ces espèces qui en cet fin de printemps demandent calme et nourriture pour permettre leur reproduction. Alors que je pensais que la zone de travail se limitait à une petite partie du versant nord, je me rends compte que les bûcherons ont travaillé  très vite en 15 jours. Ils sont allés jusque sur la zone où les pièges photographiques suivent le loup et l'ours. Les jeunes pics étaient encore au fond de leur loge quand les arbres sont tombés. Les grands mammifères ont déserté la zone sauf ceux qui ne peuvent déplacer leur progéniture comme cette louve qui va avoir du mal à nourrir ses petits.

Forestiers qui viennent couper certains arbres sur une zone de suivi du loup                             @Thierry Magniez

Passage de la louve allaitante quelques heures après les forestiers                                           @Thierry Magniez

La louve a sa tanière proche de ce lieu jusqu'où l'abattage d'une partie des arbres a eu lieu. malgré le dérangement, l’impact sur le milieu, après le passage des forestiers, le couple de loup est toujours là. Ils sont sur cette zone depuis la fin de l'hiver, les petits sont encore à la tanière. J'ai retiré les pièges photographiques de ce lieu puisqu'ils ont été repérés par les ouvriers forestiers avec qui j'ai discuté pour montrer le suivi. Pour le moment, les sangliers, les cerfs, les chevreuils, même les lièvres ont quitté ce lieu, il faudra aller plus loin pour trouver de quoi nourrir les louveteaux.

Laie avec ses nombreux marcassins qui fréquentaient la zone avant le passage des forestiers                   @Thierry Magniez

Après discussion avec les ouvriers surpris de la présence de toute cette faune, j'ai déplacé l'ensemble des caméras vers le versant plus calme du massif mais je n'ai pour le moment plus aucun suivi des ours qui semblent avoir quitté les lieux. Ce matin pendant la rencontre avec les ouvriers forestiers à l'autre bout de cette petite montagne, le lynx passait devant une des caméras. Arrivé quelques heures après le déclenchement, j'ai minutieusement fouillé la localité mais ce n'est pas cette fois encore que je croiserai son regard.

Le lynx sur un de ses lieux de passage, il marque son territoire                                               @Thierry Magniez

En attendant un nouveau passage du chat (c'est le troisième en 4 semaines), je suis allé explorer une prairie plus difficile d’accès pour retrouver un peu de calme et peut être des animaux moins stressés. Pour se rendre sur les lieux, c'est simple, il suffit de suivre la piste que les loups ont tracée, c'est leur voie de communication pour sortir du massif. On traverse une forêt de pente puis un labyrinthe d'arbustes pour arriver sur une petite et une grande prairies n'ayant aucune autre voie d’accès simple. Une arrivée discrète me permet d'apercevoir deux beaux lièvres d'Anatolie. Ils sont énormes et font des bonds comme des kangourous. Souvent, ils sont très farouches et en quelques bonds, ils disparaissent avant qu'on ne les ai aperçus. Là, c'est tout autre chose, je ne sais pas s'ils ont déjà croisé beaucoup d'hommes avant mais, j'ai pu les approcher et m'allonger plus de 30 minutes avec eux, ils sont même venus me voir de plus près : un joli moment au milieu des fleurs et des papillons.

Lièvre d'Anatolie                                                                                                @Thierry Magniez

Biodiversité d’Anatolie, de la steppe à la montagne

Thierry Magniez travaille sur la biodiversité de l'Anatolie depuis 2021. Pendant plusieurs jours, chaque semaine, il se rend à moins de...