vendredi 17 septembre 2021

Le guetteur

 

Sanglier guetteur venu observer pour voir si il y a danger                                @Thierry Magniez

Cette semaine, en repérage sur les activités des cervidés pour la période de brame, on est venu m'observer. Mercredi matin, parti tôt, il pleut. L'appareil photo en bandoulière, sur un plateau du versant nord de la montagne des ours, tout est calme. Les pièges photographiques relevés m'indiquent le passage d'un ours la nuit précédente et la présence d'une troupe de sangliers de tous ages et de toutes tailles. Mais là, à part le clapotis des gouttes de pluie sur les feuilles de chêne et le sifflement du vent sur la crête, les nuages traversent les cimes des arbres en silence. 


Il fait froid. Un froid humide qui pénètre les vêtements et engourdit les mouvements. Doucement, de buisson en buisson, le plateau livre les traces des récents passages. De nombreuses branches de chêne, d'églantier, d'aubépine sont déchiquetées et projetées au sol. Sur ce sol d'herbe humide, les feuilles des branches déchirées, encore vertes et sans trace de dessèchement permettent de dater de cette nuit l'acharnement des cerfs. A grands coups de bois, c'est pour marquer leur territoire qu'ils s'attaquent ainsi aux buissons des lisières de clairière. Espérant en rencontrer un encore présent, je cherche dans ce labyrinthe de végétation épineuse. Un bruit. Devant, à cinquante mètres peut être, les bosquets bougent, une branche craque, des feuilles s'agitent. Je m'accroupis et reste immobile le plus petit possible. Rien ne me cache, je suis au milieu d'un passage entre deux buissons. Au moment de me déplacer pour me mettre hors de vue, une tête sort du buisson. 

Je ne bouge plus. En appui sur une jambe, je le regarde par dessus mon appareil photographique. Cinquante mètres, c'est assez loin, son regard est plus interrogateur qu'agressif mais il est costaud le bestiau. Un long moment commence. Ni lui ni moi, ne bougeons. Nous faisons statues jusqu'au moment de la crampe. Impossible de rester sur cette jambe dont les muscles contractés tirent de plus en plus. Cédant à la douleur, je rapproche doucement l'autre jambe pour changer d'appui. Ce mouvement ne passe pas inaperçu et la réaction est instantanée. Sur au moins dix ou vingt mètres, la bête fonce, elle charge à travers les buissons, elle claque des pattes, le sol transmet de lourdes vibrations. Je ne bouge plus, immobile face à cette charge, le domuz (sanglier en Turc) s'arrête à une vingtaine de mètres. L'absence de réaction de ma part l'a rassuré, on dirait. Après avoir soufflé fortement deux ou trois fois, une nouvelle phase interrogative reprend. Cette fois, je suis mieux disposé, accroupi mais sur mes deux jambes, je peux rester longtemps ainsi. Il doute, je le vois. Il ne comprend pas ce qu'il a devant lui. 

Vingt mètres. Il reste de la distance pour réagir à une vraie charge. Il hésite, semble vouloir faire demi-tour puis refait face. Il avance indécis mètre par mètre. Je vois sa queue dressée, signe d'inquiétude ou de nervosité. Moi aussi, je suis indécis. J'ai deux solutions : rester ainsi immobile, le laisser approcher sans lui montrer ce que je suis, au risque qu'il se fâche en étant trop prêt ou me présenter pour qu'il sache à qui il a à faire. Jusqu'à ce que cinq mètres nous sépare, j'ai adopté la première solution mais cinq mètres, ce n'est vraiment pas beaucoup et il me paraît énorme. Alors, j'envisage la deuxième solution. Me présenter. Je peux me lever doucement pour lui montrer ma silhouette mais j'ai peur de sa réaction à cette si faible distance. Je peux bondir sur mes deux jambes pour me faire le plus grand possible et même crier afin de l’effrayer et déclencher sa fuite mais je n'ai pas fait toute cette approche pour finir par lui faire peur si toutefois ça marche. Je décide donc de stopper son avancée progressive en lui parlant et je lui lance un timide "Comment tu vas toi ?". Je n'avais même pas terminé ma courte phrase que d'un bond, il m'avait tourné le dos et repartant vers le buisson protecteur, il déclencha la fuite de plusieurs dizaines de ses congénères. 

Souriant, je pense aux longues minutes durant lesquelles, toute cette troupe cachée dans les buissons nous a regardés avec peut être un peu de suspens.      

dimanche 12 septembre 2021

C'est la rentrée

Jeune femelle ours brun observée dans la région d'Ankara                                @Thierry Magniez

Début septembre, c'est la rentrée, la fin des vacances scolaires. Loin et plongé dans des occupations estivales, ça fait deux mois exactement que je n'ai pas mis les pieds sur la montagne des ours, pourtant mes pensées y ont souvent vagabondé. Dès mon retour en Anatolie, je suis reparti mettre mes pas sur les pistes de l'ours. J'avais laissé un piège photographique pour mémoriser les passages du lynx sur le bord de son territoire. C'est donc par le relevé des ces captures que je commence. Au total, 20 déclenchements permettent de connaître le passage de 6 espèces : écureuil, marte, cerf, loup, lynx, ours. Voici quelques un de ces passages.
 
Les chaleurs de cet été ont asséché les points d'eau les plus petits, la surfréquentation menace là où l'eau est encore présente. Difficile de passer inaperçu, Il fait sec, la forêt craque à chaque pas. Pas d'eau, la végétation n'a pas poussé récemment, les pistes d'animaux sont bien marquées. C'est bientôt la saison des amours pour les cerfs, leurs chants provocateurs vont résonner dans l'obscurité de la forêt. De piste en piste, les traces de cerfs et les couches (lieux où ils se reposent) me mènent sur les zones où ils sont. En progressant lentement, j'en fais déguerpir un qui ne m'ayant pas vu reste dans les parages. Accroupi derrière une souche, j'écoute, j'observe, les bruits un peu plus loin m'indiquent sa position, il semble faire un cercle pour revenir là où il était, la forêt est dense sur ce versant il est difficile de l'apercevoir. Entre les branches, je parviens difficilement à faire quelques images. 
 
Cerf  rouge d'Anatolie (Cervus elaphus)                                              @Thierry Magniez
 
D'autres bruits en contrebas dans une combe me laissent penser qu'il n'est pas seul. Vingt minutes plus tard, notre cerf a disparu doucement sans faire de bruit. Par contre dans la combe, ça se rapproche. Régulièrement des craquements de branches, des feuilles qui bougent indiquent la position de la bestiole. L'animal remonte la combe sur le versant où je suis mais un peu plus à l'ouest. Alors, doucement en avançant de pierre en pierre pour éviter de faire craquer les feuilles et les branches du sol, je me déplace pour essayer de me positionner au bon endroit. Le vent remonte aussi la pente, ce qui me laisse des chances de passer inaperçu. Quelques minutes plus tard, je me retrouve à une dizaine de mètres des branches qui bougent. C'est là que je distingue différentes sources de bruit, ils sont plusieurs, ce n'est pas un animal mais un groupe. J'espère être assez proche pour pouvoir distinguer ces vagabonds des bois. En voilà un qui renifle plusieurs fois comme pour sentir une odeur, ce ne peut pas être la mienne. Bien calé dans la végétation, j'observe une première forme qui avance en bousculant les branches, ce n'est pas cette forme trop mêlée à la végétation qui m'indique qui c'est, ce sont les reflets, ces reflets comme argentés. 
 
Reflet argenté caractéristique de l'ours brun                                              @Thierry Magniez
 
Voilà, je ne l'ai pas vu mais je sais déjà qui il est et j'imagine même que l'on peut dire « elle » puisqu'elle est suivie. Pour ne pas me retrouver entre la mère et les petits, je surveille bien la progression des autres vagabonds quelques mètres plus bas que leur mère. Une oreille ronde, presque blonde, dépassant d'un buisson pivote comme un télescope. La mère avance en tête attentive aux environs mais toujours avec un mouvement de l'oreille vers l'arrière pour s'assurer du suivi des troupes. 
 
Oreilles de l'ours brun qui pivotent pour orienter son attention sur une direction particulière          @Thierry Magniez
 
Les oursons sont très petits, ils sont nés cet hiver, il est très difficile de les observer dans la végétation du sous bois, impossible de faire une photographie mais on peut les apercevoir et savoir qu'ils sont deux. C'est probablement la première portée pour cette très jeune mère. Un peu plus loin, elle s’arrête, passe sous un tronc couché, se retourne et je peux la voir. Alors que les oursons gambadent tout autour, elle se redresse derrière le tronc pour profiter de quelques cynorhodons. Avec sa patte, elle attrape délicatement la branche de rosier sauvage pour porter les « fruits » à ses lèvres. 
 
La mère entrain de manger des cynorhodons d'églantier                             @Thierry Magniez

Ces cynorhodons, comme l'indique la présence des akènes (le vrai fruit présent dans les cynorrhodons) dans leurs excréments sont leur alimentation principale en ce moment. Durant encore quelques minutes, la petite famille circule dans le voisinage puis les bruits s'éloignent et les voilà partis.

Biodiversité d’Anatolie, de la steppe à la montagne

Thierry Magniez travaille sur la biodiversité de l'Anatolie depuis 2021. Pendant plusieurs jours, chaque semaine, il se rend à moins de...